Les cérémonies de mariage laïques vont-elles définitivement remplacer l’église ?

J’ai eu le plaisir d’être contactée par un journaliste de France 3 Val de Loire pour avoir mon avis sur l’évolution du « phénomène des cérémonies laïques de mariage.

Voici ce qu’il en ressort :

Depuis le début des années 2010, les mariages à l’église diminuent autant que les cérémonies symboliques se multiplient. Un changement culturel profond, accompagné d’une mutation du secteur du mariage.

Les mariages sont-ils passés de mode ? Les chiffres semblent vouloir le crier : en 2019, le nombre de mariages célébrés en Centre-Val de Loire était 20% inférieur à 2009, selon l’Insee. Au niveau national, le nombre de mariages à l’église a même été divisé par deux.

Dans ce contexte morose pour l’échange d’alliances, une tendance prouve sa bonne forme : la cérémonie laïque, aussi appelée cérémonie symbolique. Et qui, comme son nom l’indique, n’a aucune espèce de valeur pour les instances religieuses, ni pour l’État. « Entre la désaffection pour l’église et le passage à la mairie qui n’est pas très solennel, la cérémonie laïque vient compenser un manque« , explique Florence Maillochon, sociologue et autrice de l’ouvrage La passion du mariage.

 

D’un effet de mode à un secteur qui s’est professionnalisé

Les cérémonies laïques tirent leur inspiration des mariages à l’américaine, où l’officiel peut se déplacer hors de l’hôtel de ville, et où le mariage par un officiant religieux est aussi officiel pour l’État. Au début des années 2000, ces inspirations arrivent en France. « Au début, c’était des épouses qui inventaient des mélanges de rituels et demandaient aux copines ou aux invités de participer à la cérémonie, voire de l’animer » à la place du maire ou du prêtre, poursuit la directrice de recherche au CNRS.

Et puis, petit à petit, le secteur s’est professionnalisé. Ces mêmes jeunes mariées ont voulu « rentabiliser » leur long travail inédit, en proposant leurs services à d’autres couples. Une tendance qui, heureux hasard, a « coïncidé avec le développement de l’auto-entrepreneuriat en France« , ajoute Florence Maillochon. Le métier d’officiant est né, et des personnes sont payées par des couples pour concevoir la cérémonie, parler du couple devant un public, faire suivre le cours de l’évènement. Depuis, des formations spécifiques ont même fait leur apparition.

Après des études universitaires « qui n’avaient rien à voir« , Alexa Germain a créé son entreprise de wedding planner (organisatrice de mariage) en 2011 en Indre-et-Loire. Elle est alors témoin de cet essor progressif de la cérémonie laïque. Et, en 2011, devant le constat que « personne ne le proposait en Touraine« , elle devient aussi officiante de cérémonie laïque, « en autodidacte« .

À l’époque, la vague n’est qu’un frémissement. « La première année, j’ai dû en célébrer un ou deux, et trois ou quatre la deuxième année« , se souvient-elle. Entre « une forte demande » et une « envie de ne faire que ça« , Alexa Germain finit par abandonner son activité d’organisatrice, pour se concentrer sur le rôle d’officiante en 2018. Cinq ans plus tard, elle revendique 25 cérémonies laïques célébrées en un an.

 

De solution de repli à premier choix

« On sent bien un engouement pour ces cérémonies depuis une dizaine d’années« , confirme Virginie Mention. Elle-même officiante, elle préside l’association Assocem, créée en 2011 pour fédérer les professionnels des métiers d’officiants, organisateurs et décorateurs de mariage. « On répond à l’attente des couples, notamment des couples interculturels ou interreligieux qui ne veulent pas choisir entre l’une ou l’autre« . La cérémonie laïque est aussi une bonne solution pour les mariages de personnes de même sexe et les remariages (15% des mariages en Centre-Val de Loire en 2019), refusés par l’Église catholique.

Le 31 août, Betty Adam va épouser son compagnon Laurent au grand air, devant un carrousel, à Saint-Denis-de-l’Hôtel dans le Loiret. Ne se reconnaissant plus vraiment dans la religion, trouvant la mairie « trop formelle« , le couple a choisi la cérémonie laïque. « On voulait quelque chose qui nous représente, et de personnalisé« , explique-t-elle.

Car les cérémonies symboliques permettent, théoriquement, « une personnalisation totale« . Alexa Germain passe ainsi plusieurs heures avec les futurs mariés pour « apprendre à les connaître« . Elle leur fait remplir un questionnaire sur leurs vies, leur couple, leurs attentes… « du charbon pour alimenter le texte que je lirai à la cérémonie« . Une manière de célébrer le couple d’une manière plus intime et fouillée que la lecture stricte du Code civil par un élu municipal.

 

Un « mariage personnalisé »

Les officiants professionnels mettent aussi à disposition des tourtereaux une longue liste de rituels, qui intégreront le cérémonial de l’évènement. Betty a choisi le rituel de la pelote de laine : « À la fin, chaque personne va lancer une pelote au-dessus de l’allée pendant qu’on sera en train de partir, et chaque couleur représentera une valeur qu’on aura choisie.« 

De manière générale, « le mariage personnalisé est un mélange de plusieurs rituels pris à d’autres« , analyse la sociologue Florence Maillochon. Que ce soit pour refléter ses origines, une valeur, ou pour se conformer à la mode. « Les mariés sont soumis aux tendances, à ce qu’ils voient sur Instagram, et le mariage est une grande entreprise marchande.« 

De nouveaux rituels peuvent tout de même apparaître. Alexa Germain revendique ainsi la création du rituel de l’amande, pour deux mariés aux religions différentes. « Le point commun entre les religions, c’était l’amande, qui était à chaque fois un signe de cadeau, d’offrande, explique-t-elle. On a décidé de faire circuler un panier parmi les invités, et chacun offrait une amande à son voisin.« 

Parfois, les codes plus classiques sont adaptés. Ainsi, un couple chasseurs de Sologne a décidé de faire un lâcher de faisans plutôt qu’un lâcher de colombes. Précision importante : aucun faisan n’a été abattu à cette occasion.

Et puis, dans la majorité des cas, les codes classiques du mariage religieux sont là. On retrouve ainsi un échange d’alliances « dans 99% des cérémonies« , affirme Alexa Germain. Les autres grands classiques : les échanges de vœux entre les mariés, les discours des témoins, ou l’inévitable disposition du lieu de cérémonie, avec des sièges tournés vers les mariés et une allée centrale.

 

Les mariages laïques « évitent le côté religieux, mais préservent la quête de sens et de spiritualité« 

Julien Lejard et Caroline Merillon se sont mariés le 12 août 2023 en Loir-et-Cher. Ou presque. « Sur les papiers, c’est marqué 30 juillet 2022, date de notre passage à la mairie, mais pour moi, le vrai mariage, c’est le 12 août, c’est la cérémonie laïque« , assure le jeune marié. Eux ont voulu une cérémonie symbolique pour « avoir quelque chose de simple et qui nous ressemble » :

On est à un âge où on a vu pas mal de mariages. Et ce que j’en retiens, c’est que c’est du stress, de l’organisation, de l’arrachage de cheveux et des mariés sur les rotules au bord de la crise de nerfs. On ne voulait pas ça. On voulait passer une bonne journée avec nos amis et nos familles.

Julien Lejard

Pourtant, malgré la volonté de simplification, le couple « a gardé le décorum, moi en costume et elle en robe de mariés, les témoins et les invités, les échanges de vœux et d’alliances…« .

Finalement, les mariages laïques « évitent le côté religieux, mais préservent la quête de sens et de spiritualité« , estime Florence Maillochon. Et c’est au milieu de ces codes que le personnel prend le plus sa place. Ne serait-ce que dans l’attitude à avoir. « À l’église, c’est solennel, il y a une certaine retenue dans les corps et dans l’expression des sentiments, ajoute la sociologue. Tout ça se libère dans une cérémonie laïque où on peut rire, applaudir, chanter. Les codes corporels sont plus libres.« 

Autant d’éléments qui peuvent expliquer l’engouement de plus en plus fort pour le mariage laïque, même si cet engouement reste difficilement mesurable. Ni État, ni Église catholique ne s’en occupent, et l’Assocem elle-même a du mal à agréger des statistiques précises, face à « un marché atomisé« . D’autant que de nombreux mariages laïques sont réalisés sans professionnels. Julien et Caroline, tous deux enseignants, ont demandé à la directrice de l’établissement scolaire où ils se sont rencontrés, de célébrer la cérémonie. « Ça résumait bien notre histoire.« 

Difficile, donc, de savoir si les mariages laïques seront, un jour, la manière numéro 1 d’unir un couple en France. Mais les habitudes changent. « Avant, les non-croyants se mariaient quand même à l’église pour faire plaisir aux parents, mais c’est de moins en moins le cas« , affirme Virginie Mention, présidente d’Assocem. Quitte à faire se dresser quelques sourcils. « Les grands-parents ont dit : « Ah tiens, pas à l’église ? »« , souffle Betty Adam.

« Les retours qu’on a eus, c’était que c’était super, et ça nous a fait super plaisir« , lance de son côté Julien Lejard. Les changements culturels aidant, le principe est désormais accepté, en même temps qu’il gagne en notoriété.

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Crédit photo : JL Photography